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Blackout Ibérique : Prélude à la guerre énergétique de l'ère IA

Blackout Ibérique : Prélude à la guerre énergétique de l'ère IA

Quand la péninsule se fige

Ce 28 avril 2025, l'Espagne et le Portugal ont été frappés par une panne électrique d'une ampleur sans précédent. Des millions de personnes plongées dans le noir, des métros à l'arrêt, des aéroports paralysés, des centrales nucléaires mises en sécurité, et un impact qui a même débordé jusqu'au sud de la France. À 12h30, c'est toute la péninsule ibérique qui s'est figée, comme si le temps s'était soudainement arrêté.

Alors que les gestionnaires des réseaux électriques annoncent des délais de 6 à 10 heures pour un rétablissement complet et que les autorités cherchent encore l'origine exacte de cette défaillance massive, je ne peux m'empêcher de voir dans cet événement un avertissement pour notre futur énergétique à l'ère de l'intelligence artificielle.

La vulnérabilité révélée

Cette panne nous rappelle brutalement notre dépendance absolue à l'électricité. Quelques minutes sans courant suffisent à paralyser des nations entières, à stopper net leur économie, à désorganiser leurs services essentiels. Imaginons maintenant un monde où la demande énergétique serait multipliée par cinq, par dix ou même davantage sous l'effet du développement exponentiel de l'intelligence artificielle.

Car c'est bien de cela qu'il s'agit. Les modèles d'IA actuels consomment déjà des quantités phénoménales d'énergie, et nous ne sommes qu'au début de cette révolution technologique.

L'appétit insatiable des IA avancées

Les chiffres donnent le vertige. L'entraînement d'un seul grand modèle de langage comme GPT-4 peut consommer plusieurs gigawattheures d'électricité - l'équivalent de la consommation annuelle de centaines de foyers. Et ce n'est que la partie émergée de l'iceberg.

Les data centers qui hébergent ces modèles sont de véritables gouffres énergétiques. En 2023, ils représentaient déjà 2% de la consommation électrique mondiale, avec une croissance annuelle à deux chiffres. Avec l'explosion des applications d'IA générative, certaines projections suggèrent que cette proportion pourrait atteindre 8 à 10% d'ici 2030.

Chacun des géants technologiques prévoit la construction de nouveaux méga-centres de données spécialisés dans l'IA. Microsoft a annoncé en 2024 vouloir investir 50 milliards de dollars dans ses infrastructures cloud et IA. Google, Meta et Amazon ne sont pas en reste. Ces installations nécessiteront chacune l'équivalent de la production de plusieurs centrales électriques.

Les cyberattaques ou attaques directes des sites stratégiques datacenters IA vont devenir monnaie courante.

2035 : Bienvenue dans la guerre énergétique

Projetons-nous dix ans plus tard. L'IA est devenue omniprésente, indispensable à la plupart des secteurs économiques, à la recherche scientifique, à la défense nationale. Les modèles les plus avancés sont des milliers de fois plus puissants que ceux d'aujourd'hui - et leur soif d'énergie a crû proportionnellement.

La nouvelle géopolitique de l'électron

Dans ce monde, les nations se divisent non plus selon leur puissance militaire traditionnelle, mais selon leur capacité à produire et à sécuriser d'énormes quantités d'énergie.

  • La Chine, avec son réseau massif de centrales à fusion nucléaire et ses vastes fermes solaires dans le désert de Gobi, est devenue la superpuissance incontestée de l'IA.
  • Le Canada et les pays scandinaves, riches en hydroélectricité, attirent les plus grands centres de données mondiaux.
  • L'Europe méridionale, incluant l'Espagne et le Portugal, subit régulièrement des blackouts programmés lorsque la production solaire et éolienne ne suffit pas à satisfaire la demande.
  • L'Afrique est divisée entre zones d'extraction de minéraux critiques pour les infrastructures énergétiques et territoires où s'implantent de gigantesques fermes solaires destinées à l'exportation d'énergie vers l'Europe.

La stratification énergétique des sociétés

À l'intérieur même des pays, une nouvelle hiérarchie sociale s'est établie :

  1. L'élite énergétique : Entreprises et individus fortunés bénéficiant d'un accès prioritaire à une alimentation électrique stable et abondante.
  2. La classe moyenne énergétique : Personnes ayant accès à l'électricité selon des horaires programmés, avec des restrictions sur leur consommation.
  3. Les précaires énergétiques : Populations subissant des coupures fréquentes et imprévisibles, devant adapter leur vie aux fluctuations de l'approvisionnement.

Sabotage et cyberguerre énergétique

Le blackout ibérique du 28 avril 2025 pourrait, avec le recul, apparaître comme l'un des premiers actes d'une nouvelle forme de conflit. En 2035, les attaques contre les infrastructures énergétiques sont devenues la stratégie privilégiée pour déstabiliser un adversaire.

Pourquoi détruire physiquement un pays quand il suffit de neutraliser son réseau électrique pour paralyser ses capacités d'IA et, par extension, son économie, sa défense et ses services essentiels ?

Des unités militaires spécialisées dans le sabotage physique et numérique des réseaux électriques sont formées par toutes les grandes puissances. Les cyberattaques ciblant les réseaux intelligents se multiplient. Une nouvelle course aux armements énergétiques s'enclenche, chaque nation cherchant à protéger ses ressources tout en développant des capacités à neutraliser celles de ses adversaires.

Les futurs complexes datacenters deviennent des sites stratégiques et géopolitiques pour les nations entières.

Comment éviter ce scénario catastrophe ?

Cette vision dystopique n'est pas une fatalité. L'événement qui frappe aujourd'hui la péninsule ibérique peut servir d'avertissement et nous inciter à repenser notre approche du développement technologique et énergétique.

Repenser l'architecture des IA

La course à la puissance brute des modèles d'IA n'est pas soutenable. Des voies alternatives existent :

  • Développer des modèles plus efficients, optimisés pour consommer moins d'énergie à performances égales
  • Privilégier les architectures d'IA spécialisées plutôt que les modèles généralistes énergétiquement gourmands
  • Investir dans la recherche sur les processeurs neuromorphiques, qui imitent le fonctionnement économe du cerveau humain

Décentralisation énergétique

Plutôt que de concentrer la puissance de calcul dans d'énormes data centers, une approche plus distribuée pourrait offrir plus de résilience :

  • Développer des infrastructures d'IA de taille moyenne alimentées localement par des sources d'énergie renouvelable
  • Créer des réseaux intelligents capables d'équilibrer la charge entre production et consommation à l'échelle locale
  • Démocratiser les technologies de stockage d'énergie pour absorber les fluctuations de production

Gouvernance internationale de l'énergie numérique

Il devient urgent d'établir un cadre réglementaire international pour encadrer la consommation énergétique des technologies d'IA :

  • Imposer des normes d'efficience énergétique pour les modèles d'IA mis sur le marché
  • Créer un organisme international de surveillance et de régulation de la consommation énergétique numérique
  • Développer des mécanismes de solidarité énergétique internationale pour éviter l'émergence d'un fossé technologique basé sur l'accès à l'énergie

Conclusion : Le choix nous appartient

Le blackout qui frappe aujourd'hui l'Espagne et le Portugal pourrait n'être qu'un incident isolé, ou le premier signe d'un futur où l'électricité devient une ressource aussi disputée que le pétrole au 20ème siècle.

L'intelligence artificielle possède un potentiel immense pour résoudre certains des plus grands défis de l'humanité, de la médecine au changement climatique. Mais son développement débridé, sans considération pour son impact énergétique, pourrait créer plus de problèmes qu'il n'en résout.

La panne géante du 28 avril 2025 nous offre l'opportunité de prendre conscience de notre vulnérabilité énergétique et de repenser notre trajectoire technologique. À nous de saisir cet avertissement pour construire un futur où le progrès technologique ne se fait pas au détriment de la stabilité de nos sociétés et de notre planète.


Patrick de Carvalho, multi-Entrepreneur, pionnier du digital, auteur, conférencier et hôte de podcasts dont le célèbre "Je ne perds jamais".

Cet article s'appuie sur l'actualité récente de la panne électrique majeure en Espagne et au Portugal du lundi 28 avril 2025 pour proposer une réflexion prospective sur les enjeux énergétiques liés au développement de l'intelligence artificielle.


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